De L’économie du couple à Tu t’appelais Maria Schneider

On reprend les bonnes habitudes avec les coups de cœur du mois ! Au programme : le délitement d’un couple filmé par la caméra scalpel de Joachim Lafosse, le portrait d’une actrice sacrifiée, Maria Schneider, par sa cousine la journaliste Vanessa Schneider, une analyse rapide des quatre saisons du Bureau des légendes et le point sur les sorties du mois.

L’économie du couple, Joachim Lafosse, 2016, 100 mn.

Marie et Boris se sont aimés, certainement passionnément. Dans cette maison, aujourd’hui objet de toutes les discordes, ils ont vécu, ont vu grandir leurs jumelles, mais c’en est assez. La seule présence de Boris insupporte Marie, c’est physique. La rancœur a tout dévoré, insidieusement. Quant à Boris, il s’accroche pour une histoire d’argent semble-t-il, on le devine pourtant viscéralement attaché à la vie qu’il est sur le point de perdre.

Des histoires d’amour qui finissent mal, le cinéma en regorge ; le talent de Joachim Lafosse, qui réalise là son sixième long métrage, est de rendre ces petits riens qui font tout déborder, ces mesquineries suivies d’accalmies, non pas inédits, mais forts d’une dimension toute personnelle. Coincés dans leur maison devenue prison, Marie et Boris (formidables Bérénice Bejo et Cédric Kahn) s’asphyxient sous les décombres de leurs amours passées. Mépris et condescendance occupent dorénavant tout l’espace.

Alors que l’on assiste impuissant au délitement de leur couple, on ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour l’un… puis pour l’autre : pourquoi Marie traite-t-elle Boris comme un enfant irresponsable ? Pourquoi Boris ne comprend-il pas que jouer sans cesse la victime ne l’aidera pas à regagner le cœur de sa femme ? Il suffirait de si peu… On se prend d’ailleurs à y croire le temps d’une belle scène de danse familiale ; on entrevoit ce qu’a pu être la vie de ce couple et de leurs deux filles lorsque la maisonnée n’était qu’amour.

Mais la déchirure est décidément trop profonde. Sa gravité nous explose au visage lors d’une scène de dîner entre amis marquante, proche de celles que savait si bien orchestrer Pialat. Emprisonnés dans leur maison tant aimée, les personnages ne briseront ce huis clos qu’à la toute fin du film. Une conclusion en extérieur hantée par l’intérieur.

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👉 Retour sur les films sortis en février 2019


Grâce à Dieu, François Ozon, 2019, 137 mn ⭐⭐⭐⭐
La favorite, Yorgos Lanthimos, 2019, 120 mn ⭐⭐⭐⭐
Une intime conviction, Antoine Raimbault, 2019, 110 mn ⭐⭐⭐⭐
Marie Stuart, reine d’Ecosse, Josie Rourke, 2019, 125 mn ⭐⭐⭐⭐
Le chant du loup, Antonin Baudry, 2019, 115 mn ⭐⭐⭐⭐
Tout ce qu’il me reste de la révolution, Judith Davis, 2019, 88 mn ⭐⭐⭐
Celle que vous croyez, Safy Nebou, 2019, 101 mn ⭐⭐⭐
Vice, Adam MacKay, 2019, 132 mn ⭐⭐⭐
Green Book, Peter Farrelly, 2019, 130 mn ⭐⭐⭐
Les éternels, Jia Zhangke, 2019, 135 mn ⭐⭐⭐
Deux fils, Félix Moati, 2019, 90 mn ⭐⭐⭐
La dernière folie de Claire Darling, Julie Bertuccelli, 2019, 94 mn ⭐⭐
Les estivants, Valeria Bruni-Tedeschi, 2019, 128 mn ⭐⭐

 

Tu t’appelais Maria Schneider, Vanessa Schneider, 2018, Grasset, 256 pages.

Maria Schneider se sera battue toute sa vie pour être autre chose que la fille du Dernier tango à Paris. Malheureusement, elle n’y est pas parvenue tant ce film culte lui collait à la peau.
Dans cet ouvrage, sa cousine, la journaliste et romancière Vanessa Schneider, prend la plume pour nous présenter sa Maria. Rien n’est édulcoré des années de drogue et de déchéance de l’actrice, qui semble avoir terriblement souffert. Née d’une union non légitime entre un acteur connu, Daniel Gélin, et une femme qui ne voulait pas vraiment d’elle, Maria est ballottée d’un endroit à l’autre sans jamais se sentir chez elle.

A l’aube des années 1970, le cinéma l’appelle : le grand Bertolucci, tout juste auréolé du succès du Conformiste, lui propose de jouer aux côtés de Marlon Brando, l’Américain est alors certes au creux de la vague mais Brando reste Brando. Ce rôle va la marquer à vie. Encensée et moquée, accueillie à bras ouverts pour mieux être rejetée, la jeune femme, fragile, n’oubliera jamais ce tournage. Elle retrouve le chemin des plateaux, dont celui du fascinant Profession : reporter d’Antonioni, mais les blessures restent à vif, inguérissables.

Portrait d’une femme sacrifiée sur l’autel de la liberté, Tu t’appelais Maria Schneider est aussi, en creux, le portrait d’une famille. Une famille recomposée, bohème, qui a essayé de faire au mieux sans y parvenir. Maria était pleine de fougue, mais aussi de doutes. Comme un poison inoculé dès l’enfance – sa cousine évoque un clan familial touché par la folie et le malheur –, son mal-être n’a fait que croitre au fil des années, aiguillé par des expériences traumatisantes. Impossible de ne pas être ému par ce parcours de femme.

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© Canal +

Le bureau des légendes, Eric Rochant, 2015-2018,
4 saisons.

A quoi ressemblerait la vie de James Bond s’il avait une femme et des enfants ? Cette formulation, très juste, est celle utilisée par Mathieu Kassovitz pour présenter la série d’Eric Rochant lors de sa sortie en 2015. Le bureau des légendes, dont la quatrième saison a été diffusée à l’automne 2018, tire sa force de cet ancrage au cœur de l’humain, de ce réalisme, qui ne l’empêchent pas d’être aussi haletante que sa grande sœur américaine, Homeland. Bien au contraire… (cliquez ici pour retrouver la critique complète)

5 commentaires sur “De L’économie du couple à Tu t’appelais Maria Schneider

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  1. Heureuse voir que le livre t’a plu 🙂 Un bon complément au documentaire que nous avons vu.

    Concernant les sorties ciné nous allons devoir parler de « Celle que vous croyez » (j’ai détesté;))

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    1. J’ai pas mal pensé au documentaire en lisant le bouquin 😉

      Haha, décidément on est pas raccord ce mois-ci pour les films ! 😅 A vrai dire, je ne m’attendais pas à un film formidable, d’autant que j’avais moyennement apprécié le livre. Mais finalement, je me suis laissée prendre par cette histoire de femme déboussolée qui préfère l’illusion au réel. Juliette Binoche est parfaite. Et quel bonheur de voir Nicole Garcia au cinéma !

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      1. On a perçu le film différemment, car on ne s’attendait pas du tout à la même chose je pense. Je ne l’ai pas appréhendé comme un film d’amour, mais comme le portrait d’une femme en perdition, préférant vivre une vie autre que la sienne pour oublier.

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      2. J’avais oublié un verbe dans mon commentaire haha « parler ». Du coup non je n’attendais pas un film d’amour mais quand même un film qui est supposé en parler, et je n’ai vu ça à aucun moment. Pas vraiment ressenti d’emotions du tout en fait, sauf à la toute fin

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